Un cheval de cow-boy, ça ressemble à quoi ?

- Stevenson !

La voix du sergent claqua comme un fouet. A quelques mètres, accompagnés par trois autres hommes, tous roux et tous irlandais, le cavalier de Satinka regardait la jeune recrue qui venait de capturer un équidé, ses yeux bleus lançant des éclairs. Certes, il avait réussi à capturer un cheval, mais c'était et une monture indienne, et en aucun cas la raison pour laquelle ils étaient venu ici. Satinka n'avait pas eu besoin que son cavalier fasse quoi que ce soit pour qu'ils se comprennent, et c'est pourquoi elle avait rejoint le jeune homme et sa monture au galop, les trois autres hommes suivant. Son cavalier, Ludwig, était réellement en colère, et cela l'étonnait assez, mais elle n'y pensa plus. Elle regardait l'étalon indien qui venait de se faire capturer sans réelle raison. Elle n'avait pas ralentie, et s'était placée légèrement au devant de l'autre idiot, tandis que le sergent sectionnait la corde avec son couteau.

- Dummkopf ! Tiens-tu tant que ça à déclencher une guerre alors qu'il s'agit d'une des rares tribus avec lesquelles nous sommes en paix ?!

Un des irlandais qui les accompagnait prit la parole.

- Je t'avais dis que nous n'aurions pas dû l'amener, Ludwig. Allez gamin, amène toi.

Le regard bas, le jeune homme rejoignit celui qui venait de parler, se plaçant à ses côtés. Satinka, quant à elle, n'avait pas quittée une seule fois l'étalon indien de son regard bleuté. Elle avait toujours secrètement admirée les peintures dont ils étaient affublés, mais son expérience chez les indiens l'avait tout bonnement dégoûtée à jamais de cette vie. Alors que le groupe se remettait en marche en direction du camp, lentement, sans armes et Ludwig et elle en tête, la jument alezane décida qu'elle viendrait saluer l'étalon dès qu'elle serait libre.

Et ce moment ne se fit pas prier ! A peine arrivaient-ils au camp que des guerriers indiens vinrent les accueillir, sur leur garde ; Ludwig, quant à lui, leur souriait, mais les irlandais et la recrue étaient quelques peu effrayés. Un homme, sûrement le chef, écarta la foule et vint accueillir le sergent comme s'il s'agissait d'un vieil ami. Puis, tous descendirent de cheval et s'éloignèrent avec le chef. Alors que les autres montures de la Cavalry restaient dans leur coin à flaner, Satinka se tourna vers la prairie d'où ils venaient, et s'en alla au galop dans cette direction. Elle ne tarda pas à retrouver le pommier, et l'étalon par la même occasion. Alors, d'une voix amicale, tout en s'approchant, elle s'excusa pour les humains.

- Excuse l'homme qui a tenté de te capturer, il est jeune et idiot. Il ne t'a pas fait mal au moins ?

Puis, se campant à l'ombre de l'arbre et profitant de sa fraicheur, la jument ajouta :

- Au fait, je m'appelle Satinka. Ou Rosenrot. C'est comme tu veux !

- Merci, et, non, ça ne me fait rien du moment que je suis relâché ! Et, moi, c'est Red Point. Enchanté de faire ta connaissance, Satinka. Si cela ne te dérange pas, veux-tu faire plus ample connaissance ? On peux se balader et en même temps je peux te faire découvrir mon habitat.

Satinka sourit poliment à l'étalon indien, mais resta campée sous le pommier. Le léger vent qui soufflait cognait légèrement les étriers de sa selle contre ses flancs.

- Je suis désolée, Red Point, mais...

La jument de la Cavlary tourna la tête vers le campement indien, où elle les apercevait vaguer à leurs occupations. Tout semblait baigner dans un bonheur doux, un calme de paix. Ces indiens n'étaient pas en guerre contre l'US Cavalry, mais contre d'autres tribus ; c'était pour cette raison que les sourires s'étaient dessinés sur le visage des hommes, et non sur leurs gorges. Continuant de survoler le camp de son regard bleu ciel, la jument remarqua avec facilité les montures des cowboys, qui, sûrement intimidées par ce monde inconnu qui les entourait, restaient groupées dans un coin, pas très loin du tipis du chef et où leurs cavaliers avaient disparuent. Le regard bleuté de la jument se posa dessus. Elle n'avait pas la moindre idée de quand est-ce que son cher cavalier sortirait, et ne voulait surtout pas le faire attendre,car il était bien trop précieux pour être laissé ainsi. De plus, il s’inquiéterait s'il ne la voyait plus ! Reposant ses yeux sur le cheval indien, se demandant si de tels liens existaient chez les montures indiennes, elle finit sa phrase.

- Mon cavalier peut ressortir d'un moment à l'autre et je ne voudrais pas le faire attendre, tu comprends ? D'ici, j'ai une vue parfaite du camp et du magnifique paysage.

C'est alors qu'elle baissa la tête, ramassant une belle pomme rouge dans laquelle elle croqua sans difficulté malgré son mors. Car elle était totalement harnachée ! Heureusement, cela ne la dérangeait pas le moins du monde. Regardant à nouveau cette nouvelle connaissance, son regard s'arrêta sur les peintures rouges qu'il arborait.

- Et puis, les pommes ne sont pas mauvaises, ici

A nouveau, elle sourit. Ses pensées vagabondèrent, et elle essaya de se souvenir des peintures qu'elle avait elle-même arborée, il y avait bien longtemps. Malheureusement, ces souvenirs faisaient partit de ceux qu'elle voulait à jamais oublier, dont elle voulait rire et non pleurer, et elle ne s'y attarda pas.

Satinka fut sortie de ses pensées par le sentiment croissant d'être observée, et tourna à nouveau la tête vers le cheval d'indien, le prénommé Red Point. Effectivement, il était en train de la regarder. Elle autant que son harnachement, dont les boucles et sangles, s’entrechoquant doucement dans la brise, résonnaient avec clarté, tels des carillons. La jument ne comprit pas tout de suite, mais se fit la réflexion toute simple que si la cavalerie américaine n'était pas en guerre contre ces indiens, ils n'avaient aucune raison de voir des montures harnachées de cette manière. La jument se mit alors à observer l'encolure et la tête de l'étalon, à la recherche de traces de corde, mais il n'y en avait aucune. Ça n'était pas juste ! Elle se souvenait parfaitement de la brûlure de la corde sur sa peau, quand elle était jeune ! Pourquoi cet équidé n'en avait-il pas, lui aussi ?!

La jument finit par secouer la tête. Elle connaissait bien évidement la réponse, quelle sotte ! Allez, ce qu'elle faisait n'était pas poli. On ne pensait pas à d'autres choses quand on été en compagnie de quelqu'un. Après avoir jeté un rapide coup d'oeil à la tente, d'où l'on pouvait entendre des rires - oui, des rires !, Satinka ramassa une nouvelle pomme, qu'elle croqua sans difficulté malgré son mord, avant de reprendre la conversation.

- Je comprend. Moi aussi, si je serais chez vous, je ne m'éloignerais pas de vu de mon cavalier. C'est vraiment un bonheur les pommes de ces arbres !

La jument du sergent de l'US Cavalry sourit. Prenait-il ce geste pour de la peur ? Non, sûrement pas... La jument se tenait droite, fière, et surtout, n'était pas traversée de ne serait-ce qu'une once du peur. Eh, c'est qu'il n'avait pas tort l'indien ! Ces pommes étaient délicieux. Néanmoins, Satinka cessa d'en manger - de manger, tout bonnement.

- C'est vrai. Mais dis moi, est-ce mon harnachement qui te perturbe à ce point ?

En effet, Red Point n'avait pas cessée de la regarder. Et la jument ne pu s'empêcher de se demander comment est-ce qu'il réagirait en portant une selle et un filet, lui qui n'avait jamais vu une selle et s'était toujours contenté d'une corde, rugueuse et pleine d'écharde, comme filet.

- Eux, oui... fin, je ne sais pas, tu n'as pas l'impression d'être en prison avec tout ça ?! Et puis, je n'ai jamais été chez vous mais, il parait que vous êtes enfermé le reste de votre temps où vous n'êtes pas monté dans un espèce de "box" je crois et il est tout, petit ! Après, c'est ce qu'on me dit...

Red Point ne pouvait pas le savoir, mais c'était exactement ce qu'il ne fallait pas dire à la jument. Celle-ci le prit d'ailleurs très mal, et recula de quelques pas en piaffant - mais de mécontentement. La plupart des équidés, sauvages, ou indiens, ne voyaient en regarde la Cavalry que les patrouilles de capture, et faussait ainsi toutes leurs idées. Certes, Satinka était énervée, réellement, mais elle se doutait que ce n'était pas de la faute de l'étalon et fit ce qu'elle pouvait pour se calmer, et tacher de lui expliquer. Mais sa voix était dure et peu aimable.

- Non, je n'ai pas l'impression d'être en prison. Ce n'est pas lourd, et mille fois moins irritant qu'une de vos rugueuses cordes. Non, nous ne sommes pas enfermés, encore moins dans un box tout petit - nous avons même quelques immenses prés à côté du camp. Nous avons des humains qui prennent soin de nous - ce sont loin d'être les barbares que vous croyez ! Pourquoi vous fier à des idées fausses, qu'on vous a contées, et ne pas chercher à se faire sa propre idée ?! Je suis mille fois plus heureuse maintenant que je ne l'ai jamais été chez les indiens, ou même solitaire !

Stop. Satinka, tu te calmes. La jument du sergent soupira un grand coup, les yeux fermés, afin d'évacuer tout ces préjugés qui l'énervaient tant. Et quand elle rouvrit les yeux, plus calme... l'étalon indien fonçait dans le pommier. Rosenrot écarquilla les yeux, ne comprenant pas ce geste fort... étrange. Pourquoi faisait-il cela ? Était-il souffrant ? Mentalement souffrant ? Satinka avait connue beaucoup de chevaux qui étaient devenus fous à cause des combats, et cela l'avait endurcie autant que l'entrainement qu'elle se forçait à respecter depuis sa naissance. Être forte. Mentalement comme physiquement. Savoir improviser, s'adapter et dominer toutes les situations possibles.

L'étalon se releva, croqua une pomme et lui proposa l'autre moitié, ce que la jument refusa.

- Non merci.

Certes, elle savait que ce n'était pas de la faute de Red Point, et s'était calmée, mais elle n'avait toujours pas digérée le stéréotype de la Cavalry. Ah, bon sang. L'US Cavalry, c'était sa vie ! Elle l'admirait, l'adorait, comme pour son cavalier ! Comment pouvait-on bafouer cela au nom du manque de connaissances ?!

Satinka regardait l'étalon indien se frapper la tête contre ce malheureux pommier ; elle avait compris que quelque chose clochait, mais préférait le laisser seul dans sa folie, sur ce coup là. Mais, quand il eut fini, la jument remarqua son regard. Elle le regarda d'un air sérieux, mi-curieux mi-étonné, mais surtout, prouvant parfaitement qu'elle aurait bien aimé savoir ce qui se passait. Les réactions de Red Point n'était pas... jugeables normales.

- Je pense que tu vas repartir, ton cavalier est sorti du tipi. Tu devrais jeter un œil.

La jument du sergent lança un dernier regard à l'étalon, cherchant à découvrir la raison pour laquelle il se comportait ainsi, mais finit par se raviser et tourner vers la tête vers le camp indien, localisant le tipi dont avait parlé Red Point - celui du chef. Mais Satinka ne s’inquiéta pas, et se contenta de soupirer de la bêtise de cette nouvelle recrue, qui venait de s'asseoir par-terre auprès des chevaux avant de se retourner vers l'étalon noir à l'attitude étrange.

- Oh, lui ce n'est pas mon cavalier, non, mais le bleu qui a essayé de t'attraper tout à l'heure ; mon cavalier est celui qui l'en a empêché.

Effectivement, le jeune avait du se faire joyeusement enguirlander pour avoir été ainsi sorti du tipi. Quant au sifflement caractéristique de Ludwig, il n'avait pas retenti, donc Rosenrot avait encore du temps ! D'ailleurs, c'était le temps d'obtenir des réponses. La jument savait se montrer franche et directe quand il le fallait, et c'était le cas. Plantant son regard bleu dans celui de l'étalon indien, la jument se lança :

- Et voudrais-tu bien m'expliquer pourquoi est-ce que tu te comportes ainsi ? Et que signifie ces regards dont tu me couvres depuis tout à l'heure ?

- Ben, une bête vient de me piqué et ça me grattais, désolé. Mais, quand je me cogne la tête contre un arbre, c'est que je me dis des choses mais qui raconte n'importe quoi, alors voilà, pour me les enlevé de la tête, je me la cogne contre quelque chose de dur. Et, pour les regards, je... je, je regarde tes équipement, c'est tout...

Satinka ne répondit rien. Elle se contenta de regarder l'étalon qui se tenait devant elle, un certain mécontentement dans le regard. Cet indien la prenait-elle vraiment pour une idiote ?! Doublée d'une aveugle, qui plus est ! Il semblait avoir décidé que l'honnêteté ne payait pas, et s'était cassé derrière un tissu de mensonges brodé avec peu de soin. La jument des cowboys voulait bien croire qu'une bête venait de le piquer et que cela le grattait, mais se briser le crâne contre un tronc d'arbre avec comme raison de ne plus vouloir s'entendre penser, c'était... Stupide. Enfin, apparemment, ce n'était pas la première fois que cet animal faisait cela, et si ça marchait pour lui, eh bien... Grand bien lui fasse ! Satinka trouvait que cette discussion, autant que cette situation, commençait à prendre une tournure étrange et pas forcément plaisante... Oh, si elle le voulait, la jument était capable de stopper cette conversation avec toute sa franchise militaire, et de redescendre vers le campement des indiens... Mais que serait-elle aller y faire ?! Décidément, elle avait de plus en plus hâte que le sifflement de son cavalier retentisse. Ne regardant pas Point Red, mais le camp, Rosenrot ajouta d'un air neutre autant qu'apathique :

- Si tu le dis.

La brise légère soufflait toujours, faisant cliqueter ses étriers comme des carillons. C'était un son clair, pur et cristallin, qui déplaisait pourtant beaucoup à un grand nombre de chevaux - mais pas Satinka. Pendant quelques instants, elle regarda le lointain, perdue dans ses pensées, se demandant comment serait sa vie si elle n'avait pas été celle d'un cheval de la Cavalry, mais d'un cheval de troupeau, voire même d'un équidé solitaire. Elle aurait été seule, loin de tout et de tous, et, au fond, peut-être que cela aurait été une bonne chose. Quant au vent, celui-ci soufflait, faisant élégamment voleter sa crinière et sa queue de couleur blonde cendrée.